Sunday, July 07, 2013

L’art-thérapie - méthode de soin dans l’intermédiaire entre art et psychanalyse

Interview avec Nathalie Bonnes, art-thérapeute 
(Seconde partie)

-        Par définition on traite l’anorexie par des soins multidisciplinaires, pourrais-tu nous décrire quel est l’esprit et l’organisation du fonctionnement de l’équipe dont tu fais partie ?
-        J’ai la chance d’avoir rencontré un professeur en endocrinologie et re-nutrition très sensible à la relation humaine et en capacité de remettre en cause son « savoir » dans l’anorexie. Ce Monsieur s’appelle M Vialettes et il est professeur et chef de service à la Timone hôpital très réputé à Marseille. Lorsque je cherchais un stage pour ma formation d’art-thérapeute,  il cherchait quelqu’un pour mettre « de la culture dans l’anorexie » disait-il. Il m’a reçue et a accepté de tenter, l’expérience avec l’art-thérapie dans l’anorexie, il a eu le courage de me faire confiance sans savoir exactement où nous allions. Non seulement c’est un homme fin dans sa clinique, mais en plus grand connaisseur de l’art en général et l’art africain en particulier, la philosophie, la littérature…un puits de science qui m’a beaucoup enseigné. Evidemment cette ouverture d’esprit l’a amené à penser le soin à partir du sujet anorexique, ouvrant l’espace  à plusieurs disciplines : la kinésithérapie, la diététique, la psychiatrie, la médecine nutritionnelle, le soin infirmier, l’art-thérapie… toutes les personnes ont leur place dans le service y compris le personnel de service qui peut parfois soutenir le soin par sa relation au patient et les secrétaires qui, outre leur fonction de confidente parfois, peuvent par exemple faire des photocopies de patrons quand nous faisons du tricot ou de la couture…Tout le monde a son rôle à jouer dans la prise en charge, chacun a sa place dans l’étayage du soin médico-psychologique. L’art-thérapie et l’art-thérapeute sont connus et reconnus par tous. Un espace repérable de tous y est dédié 2 fois par semaine. Des échanges sont formalisés lors de réunions d’analyse de la pratique soutenues par un pédopsychiatre psychanalyste d’un autre service, le PR Poinso avec lequel je travaille dans les autres services (HDJ, Unité mères bébés, psychopédagogie) et qui a co-écrit le livre avec M Vialettes et Mme Samuélian, psychiatre du service. Tout est pensé autour du patient-sujet. C’est un  travail riche et passionnant.
-        Comment est-ce que tu modifies ton travail en fonction de la structure (psychose ou névrose) du patient anorexique ?
-    Le névrosé, par le refoulement, essaie d’éviter la rencontre avec l’impossible, l’insupportable, le réel. Ces pensées insupportables tentent de faire retour  sous forme de lapsus, rêves, symptômes. C’est un évitement. Dans les séances d’art-thérapie on amène le sujet à se confronter à cet impossible. On l’amène à se décaler par rapport à ses modalités d’évitement. Ce qui explique aussi que l’art-thérapie n’est pas du tout le lieu du bien être parce qu’on vient se confronter à un « destin » qui est déjà scellé : il y a un impossible structurel qu’il va falloir accepter. Mais en même temps quand on accepte qu’il y a de l’impossible on accepte qu’à un moment « on n’y peut plus rien, c’est comme ça » et c’est beaucoup moins difficile à porter d’être conscient de ça. Donc dans la névrose on confronte le sujet à un impossible. Vers ce S1, ce point où il n’y a plus de mot pour dire.[1]
Le psychotique, lui, est dans le réel, il s’y confronte tous les jours, donc ce qu’on tente de faire c’est de limiter ce réel, de le border. On cherche à créer un sinthome, une béquille qui va lui permettre de tenir. L’écriture par exemple a été le sinthome de Joyce. Durant les séances d’art-thérapie les patients s’accrochent quelques fois à un des outils proposé, que ce soit la peinture, le modelage, l’écriture…et l’on se rend compte par la suite quand ils viennent nous voir qu’ils se sont inscrits dans des ateliers ou qu’ils continuent à écrire pour eux ou pour partager…
-        A part l’art-thérapeute, en milieu hospitalier il existe encore un protagoniste -   celui du groupe, quel est son « poids » ?
-        Le groupe  peut être un handicap comme il peut devenir un allié de l’art-thérapeute : par exemple je travaille actuellement avec des personnes ayant une obésité morbide. Je me suis rendue compte que ces patients se cachent derrière le groupe pour éviter le travail, comme ils peuvent se cacher derrière le poids. Du moins c’est ce que j’ai pu observer,  il ne s’agit pas d’en faire une généralité, bien entendu.
Dans ma clinique de l’anorexie, le groupe a été un allié : souvent ces personnes, en prise en charge individuelle, vous remplissent de « paroles vides ». C’est une forme de défense. Or, lorsqu’il y a un groupe, le patient va devoir mettre en place des défenses vis à vie du groupe, des défenses vis-à-vis de l’art-thérapeute… Et c’est beaucoup plus difficile, il y a toujours un moment où il ne peut plus tout mener de front. L’inconscient s’impose alors à leur insu.
-        Et si tu as quelque chose de nouveau à ajouter au sujet de l’anorexie, des mois après la publication de ton livre…
-        Je conclurais que la prise en charge des personnes anorexiques dans des espaces d’art-thérapie s’avère un travail important dans une équipe pluridisciplinaire. La pluridisciplinarité dans les services permet au patient d’avoir des lieux d’accroches divers lui permettant de trouver sa place de sujet dans le soin. A condition, bien entendu, que la parole du patient soit prise en compte par l’équipe...






[1] A propos de l’usage de la notion lacanienne S1, auquel Nathalie recourt ici, elle voulait rappeler ce que dit Bernard Seynhaeve dans « Guerrier appliqué et destitution subjective » : À la fin de l’enseignement de Lacan, le S1 change. Il n’est plus seulement le signifiant maître qui représente un sujet pour un autre signifiant. Il y a deux versants au S1. En tant que signifiant maître, il représente le sujet à partir du moment où il s’articule à l’Autre. Cela, c’est le versant de la chaîne signifiante. Et c’est aussi l’inconscient-message à déchiffrer, selon Freud. C’est le versant des formations de l’inconscient. C’est aussi celui du symptôme qu’on peut pour une part déchiffrer. C’est la dimension symbolique.
Mais il y a un autre versant sur lequel Lacan met l’accent à la fin de son enseignement. C’est le S1 pris dans la dimension de la lettre. C’est le S1 pris dans sa dimension de réel. C’est le versant sinthomatique, ce qui ne se déchiffre pas, le versant jouissance non symbolisable, non réductible au signifiant, le versant jouissance inhérent au vivant, au corps du parlant. On se situe là dans la dimension de ce qui fait l’essence de l’homme, au joint du corps et du langage, à ce qui du langage s’incorpore au vivant, le corps qui jouit et qui parle, qui jouit de parler. L’incorporation du langage. Dans cette zone, S1 ne représente rien et par conséquent n’est pas du symbolique.