Monday, June 10, 2013

Nathalie Bonnes: L’art-thérapie -  méthode de soin dans l’intermédiaire entre art et psychanalyse 
(Première partie)


Carte de visite : Nathalie Bonnes travaille comme art-thérapeute dans les hôpitaux de Marseille (Sud de la France) depuis 2005.  Elle y exerce dans des services différents et qui reçoivent un public très varié : enfants et adolescents autistes, psychotiques, en difficultés sociales et familiales ou rencontrant des difficultés assez lourdes comme l’anorexie, « la dépression », mais aussi en Unité « Mères- bébés » et en service de re-nutrition avec des personnes anorexiques ou atteintes d’obésité morbide. Fin de l’année 2012 les Editions Érès ont publié son livre « Art-thérapie et anorexie » où elle transmet son expérience et ses réflexions en la matière.
Formée elle-même dans l’institut PROFAC[1] à Arles, Nathalie Bonnes intervient aujourd’hui comme formatrice en art-thérapie pour l’institut PROFAC Marseille. Elle a commencé sa carrière en effet  dans le métier d’éducatrice de jeunes enfants, qu’elle a exercé pendant 28 ans, pour se consacrer ensuite à l’art-thérapie dont elle a obtenu sa certification en mai 2004. Suite à la validation de la certification PROFAC par l’état français, elle a repassé une VAE pour confirmer la validation de  cette première certification et les années de travail en tant qu’art-thérapeute.Ce qui, évidemment, suggère ma première question à lui poser :
Nathalie, quel est le statut de l’art-thérapie en France actuellement ?
Pour l’instant l’art-thérapeute n’a pas de statut : la certification de certaines écoles a été reconnue par l’état, et c’est le cas de PROFAC -  l’organisme dans lequel j’ai été formée. C’est une certification de niveau 2. Mais actuellement les art-thérapeutes sont recrutés sur des postes divers et en ce qui me concerne, mon intitulé de poste est « éducatrice de jeune enfant » et je fais fonction d’art-thérapeute sur ce poste pendant 39 h par semaine. Certains art-thérapeutes de diverses écoles et l’association française des art-thérapeutes œuvrent à la reconnaissance d’un statut des art-thérapeutes. Mais ce travail demande beaucoup de temps.
Dans ton livre tu écris que l’art-thérapie « joue sur le trait d’union entre art et thérapie », comment comprendre cela ?
- C’est une expression de Jean-Pierre Royol[2], qui veut dire en quelque sorte que le travail art-thérapeutique se fait dans un entre-deux, dans un espace resté vide structurellement et qui permet au sujet, à partir de ce vide de créer, de bricoler pour se créer son sinthome et tenir debout. C’est dans cet espace là que travaille l’art-thérapeute.
- Et d’autre part tu l’as définie comme «une méthode de soin qui se positionne dans un espace intermédiaire entre art et psychanalyse», tu insistes qu’elle s’appuie sur la psychanalyse et peut ouvrir une demande de psychanalyse…
En ce qui me concerne de par la formation de PROFAC et le travail analytique que j’ai entrepris avant, pendant et après la formation, je considère qu’il m’est difficile de concevoir l’art-thérapie et l’analyse de façon dissociée. Certes l’art-thérapeute n’est pas un psychanalyste, s’il n’a pas fait le travail nécessaire pour cela. Mais selon sa formation, son regard, son point de vue est orienté par la psychanalyse (éclairé par la psychanalyse, nous dit Jean-Pierre Royol). Plus que son regard d’ailleurs, il s’agit de son écoute. Il utilise l’écoute, le silence, le vide, pour ouvrir des espaces dans lesquels le sujet va pouvoir se trouver ou se retrouver. L’espace art-thérapeutique n’est pas un atelier d’art-plastique. Il s’en différencie de par la place de l’objet qui n’est qu’un prétexte au travail, qui n’est pas esthétique et se veut le plus possible éphémère. Il s’en différencie de même de par le travail sur le transfert élaboré par l’art-thérapeute. La prise en compte du transfert est la base du travail art-thérapeutique à mon sens. Tous les art-thérapeutes, toutes les écoles d’art-thérapie ne tendent pas vers ce travail mais en ce qui me concerne c’est ainsi que je définis l’art-thérapie.
J’aimerais revenir sur le statut de l’objet en art-thérapie: différent de celui de l’objet d’art, il se construit dans le transfert, il doit être le plus éphémère possible, ni conservé, ni exposé… ce dernier … pourquoi ?
L’objet en art-thérapie est un prétexte à la parole, à la relation transférentielle. Il vient inscrire cette relation dans un moment donné qui a peu de rapport avec la réalité. C’est un objet qui fait partie de l’intime du patient parce que justement il est créé dans un espace transférentiel, dans une relation particulière. Des choses s’y inscrivent et se disent de l’intime du patient. Des choses de l’ordre du fantasme, de l’ordre d’une « autre scène ». Pour ces raisons il est impossible d’exposer aux yeux de tous quelque chose qui fait partie de l’insu du patient, qui est sorti de son inconscient ou qui a permis l’ouverture de cet inconscient lors d’un instant rapide, fugace. Il y a des choses que l’on doit garder en mémoire sans être obligé de les avoir constamment sous les yeux, dans le sens où elles ne témoignent que d’une « vérité éphémère », envelopper d’un voile protecteur. Cet objet n’a rien à voir avec le « beau, l’esthétique, le pur ». Il a à voir plutôt avec le « pur réel », l’impensable, l’impossible à dire. Il ne doit pas devenir persécuteur en nous  regardant constamment comme nous le regardons  et comme d’autres nous voient le regarder et le regardent aussi. Cela deviendrait malsain il me semble et à l’inverse de ce que nous cherchons.
Dans l’entre-deux de la relation art-thérapeute-patient, là où, manque la parole, vient prendre place un « dire plastique »… J’ai beaucoup aimé cette phrase…
Elle est la continuité de ce que j’ai évoqué précédemment. Cet objet vient inscrire l’intime du patient qui ne peut dire certaines choses. Les mots viendront sculpter cet objet au fur et à mesure de la séance pour donner vie à l’objet le plus éphémère qui soit : la parole. Et pourtant cette parole reste alors que les écrits s’envolent car contrairement à ce qui se dit d’habitude, une parole, une fois prononcée ne peut plus être effacée : c’est dit, c’est dit et c’est ainsi. Alors qu’un écrit pourra toujours être transformé par l’écrivain. La parole a ceci : elle se dit en présence d’un autre. L’écrit est souvent plus intime et n’a pas de témoin dans un premier temps. Toutefois, une fois que cet objet vient dire quelque chose de l’intime devant un témoin (l’art-thérapeute), « c’est dit ! ».
                                                                                       A suivre...


[1]Voir, à propos de PROFAC : http://www.artherapie.com/

[2]Jean-Pierre Royol est docteur en psychologie clinique, directeur de PROFAC, président de la Ligue professionnelle d’art-thérapie, auteur de « Art-thérapie Quand l'inaccessible est toile »,  éditions Dorval