Wednesday, April 23, 2008

« La donna è mobile »

Maria Clara Lucchesi-Palli
Marthe Dubreuil
Carte de visiste: Maria-Clara Lucchesi-Palli et Marthe Dubreuil sont psychologues et psychanalystes françaises, qui travaillent à Paris. En automne 2007 elles ont visité Varna pour prendre part dans un colloque franco-bulgare sur les problèmes de l’angoisse. J’ai profité de l’occasion pour leur proposer cet entretien féminin trilatéral.
En résumé :
* Le féminin et le masculin se définissent comme deux altérités qui se rencontrent et se confrontent.
* Pour se séparer de la mére, l’homme va insister sur sa réalisation dans la vie et la compétition. Pour se séparer de sa mère, l’opération la plus efficace pour la fille est de devenir mère.
* La naissance de l’enfant oblige le couple à se repenser autrement; il arrive que l’apparition de l’enfant entraîne une crise dans le couple - quelque chose de la femme se retire de la relation avec l’homme qu’elle aime ; lui, il se sent déstabilisé.
* Chaque femme doit trouver son équilibre à travers les positions différentes qu’elle a à tenir.
* Aujourd’hui les faiblesses des deux sexes sont dévoilées.
* L’amour n’est pas un symbole et au début nous tous en avons besoin.
* Pour vivre, il faut se séparer. À chaque fois.

- Ne pensez-vous pas que notre modernité a dilué les frontières entre le féminin et le masculin ?Et est-ce qu’on peut leur donner une définition ?
Maria Clara :
- Je la conteste tout de suite, votre question, parce que je conteste le «aujourd’hui » . Pour moi, c’est pareil - le féminin et le masculin se définissent toujours de la même façon.
- Ceci dit, si j’utilise le jargon psychanalytique, le féminin - c’est châtré et le masculin – c’est phallique ?
Maria- Clara :
- Non, le féminin et le masculin sont deux altérités qui se rencontrent. Et châtré et phallique - ce sont des symboles. Et utiliser les symboles c’est simplement une façon de représenter la rencontre et la confrontation de ces deux altérités.
- Freud et son disciple Ferenczi pensaient que le complexe de virilité est le noyau de la névrose féminine, notre difficulté d’accepter le fait de ne pas être nées hommes.
Maria Clara :
- C’est vrai et c’est aussi en relation avec l’évolution de la société et l’évolution de la place de la femme dans la société. Rappelez-vous que Freud jusqu’à la fin, après des tâtonnement différents, il revenait toujours au féminin/masculin comme passif/actif. Si on parle du bébé avec sa mère, on dit aussi (comme représentation symbolique de cette mère toute-puissante qui ne manque de rien) « la mère phallique ». Devant cette mère tout bébé est passif et dans cette position c’est la mère qui est masculine. Pour devenir séparé de la mère à un certain moment, il faut que l’enfant devienne un peu phallique, quand même. Donc, la question se pose pour la fille. Avant elle se posait d’une certaine façon puisqu’elle pouvait rester, disons, non-phallique, plus ou moins - beaucoup moins phallique que maintenant, dans la société. Être phallique, ça veut dire – faire des choses, être autonome, séparée et sans la dépendance de l’autre. Mais comme dans le rapport à l’autre masculin elle doit, au contraire, ne pas être phallique (comme vous le dites – châtrée, mais c’est toujours une représentation symbolique), ça pose beaucoup plus actuellement le problème de ce côté-là, du côté affectif-sexuel pour la femme. Avant c’était au contraire, c’était plutôt - continuer dans le non-phallique, donc dans la dépendance à la mère, aussi. On a toujours dit, au fond, dans des siècles, que la fille reste beaucoup plus dépendante de la mère, que le garçon, non ? Et on dit toujours, dans des familles à l’ancienne, que la fille reste en famille en amenant son mari et que le mari – il s’en va, comme fils. Et on voit la représentation phallique de l’homme comme quelqu’un qui s’en va, qui coupe avec la mère, pour pouvoir être phallique. Et c’est pour ça que de l’autre côté les problèmes de l’homme sont plutôt de ne pas avoir coupé et ne pas pouvoir être homme. En simplifiant les choses, on peut dire aussi que pour se séparer de la mère, l’homme va insister dans son fantasme sur ce qui est du coté de l’avoir, et du coté de l’avoir il y a sa réalisation narcissique, sa réalisation dans la vie, la compétition. Quant à la fille, pour se séparer de la mère, l’opération la plus efficace, la plus forte, sans qu’elle le sache, c’est d’avoir un enfant. Et il y a des études statistiques sur la fértilité qui montrent qu’un énorme pourcentage de l’ínfértilité est psychique. Et on voit aussi chez nous patientes, quand elles ont fausses couches, ou des difficultés à devenir mères, que c’est toujours lié à leurs rapports à leurs mères. Et là c’est plus évident que devenir mère, c’est - se séparer de sa mère. Et les femmes enceintes, sans savoir toutes ces théories, elles sentent qu’elles sont en train de se séparer de leurs mères, c’est évident, alors qu’il n’y a pas de raison rationnelle. Il y a même des mères tellement invasives, qu’elles vont assister à l’accouchement de leurs filles, mais ça n’émpêche pas que dans leur inconscient elles se séparent.
Marthe :
- Eh bien souvent, dans ma clinique, j’ai remarqué qu’elles se mettent à comprendre leurs mères, alors que jusqu’à présent elles ne les comprenaient pas du tout, elles étaient même en opposition : « ma mère m’embête, ma mère est une emmerdeuse », etc. Et tout d’un coup, le fait qu’elles passent à ce stade-là de la séparation et deviennent mères à leur tour, les met à une distance suffisante, pour pouvoir comprendre un peu leurs propres mères. C’est l’effet bénéfique du déplacement.
Maria-Clara :
- Que l’homme ne doit pas faire. Et c’est pour ça que moi, je pense toujours à cette phrase de l’opéra Rigoletto de Verdi : « La donna è mobile, qual piuma al vento » (La femme est inconstante comme une plume au vent). La femme est mobile, pas – immobile, elle est obligée de changer de place, tout le temps, et l’homme – non, c’est ça. C’est souvent une cause de déchirement, de souffrance, etc., mais c’est aussi une cause de grande satisfaction.
- Et quelles sont les malaises actuelles de la femme contemporaine ?
Maria-Clara :
- La société a encouragé du point de vue positif depuis les années 70 l’intégration de la femme dans le monde de travail, et c’est un énorme changement. Et la pilule était un énorme changement aussi pour la liberté de la femme envers sa vie sexuelle. Et ça augmente certaines difficultés de la femme face à l’homme dans sa vie affective et sexuelle. Et d’ailleurs on ne sait pas si avant c’était caché ou pas, mais ce qu’on a remarqué récemment en France, c’est le nombre énorme de femmes battues et les femmes tuées par leurs maris qui les battent. Mais l’experience de ces patientes nous montre, que c’est souvent une tentative déséspérée auquelle elles participent elles-mêmes - de se poser dans un rapport qui puisse être féminin/masculin enfin. Ce rapport est rendu difficile non seulement par la façon dont elles se sentent affirmées dans la société (sans le vouloir plus que l’homme même, par exemple) mais aussi – par une certaine réaction de l’homme devant cette nouveauté qui n’était pas devant lui, il y a un siècle et qui a dévoilé très, très brutalement la faiblesse de l’homme aussi, qui est la faiblesse de tout le monde. Mais quand même, après des siècles où l’homme a pu se maintenir dans une espèce d’armure qui cachait sa faiblesse, maintenant les faiblesses des deux sexes sont dévoilées. Mais au moment où celle de l’homme se dévoile, celle de la femme se met dans l’armure. Et c’est ça qui crée des désiquilibres terribles qui font des fois les réactions - le masochisme féminin, pour affirmer justement qu’elle n’est pas puissante.
Marthe :
- Moi, je dirais, qu’effectivement, le problème de la femme qui est très différent du problème de l’homme, c’est qu’elle doit être mère, amante, et puis – quelque chose d’autre, aussi, – sujet à elle-même. Et que c’est ça qui est finalement quelque chose que toutes les femmes peuvent avoir ou partagent et qui est à solutionner chacune pour soi, pas du tout dans une modélisation sociétale, mais – chacune pour soi. Il faut, effectivement, trouver l’équilibre, toujours, à travers toutes ces positions qu’elle a à tenir, qui sont souvent difficiles à tenir et qui ébranlent aussi l’homme. Parce que bien souvent on voit des couples qui défaillent quand un enfant arrive. Il y a beaucoup de couples en crise à la naissance de l’enfant. Pourquoi ? Parce que il y a quelque chose de la femme qui se retire de la relation avec l’homme qu’elle aime et qu’elle va mettre ailleurs, elle va investir autrement. Il y a rupture. Elle même ne le sait pas, c.à.d. que ni l’un, ni l’autre ne le savaient que ça fonctionnait comme ça entre eux. Mais bien sûr il y a des couples qui négocient très bien l’arrivée de l’enfant, et ce qu'il faut plutôt comprendre - c'est que cette arrivée oblige le couple à se repenser autrement, du fait qu'il y a à faire une place à l'enfant qui n'occulte pas la relation intime qui a été construite, ou pour dire autrement, qui ne détruise pas la relation libidinale du couple.
Ce sont toutes ces positions-là que la femme doit trouver en elle-même à équilibrer, qui sont très différentes pour l’homme, pour finir. Et ça déstabilise les hommes, les renvoie à un sentiment d’impuissance, ils se sentent abandonnés, il y a, je dirais, quelque chose de l’angoisse de l’abandon qui se joue là, et qui les renvoie peut-être à un sentiment d’insuffisance que nous appelons aussi l’angoisse de la castration, à leur problématique par rapport à la castration.
- Y-a-t-il des peurs féminines et masculines ? Je pense à Freud qui disait que la peur de perte d’amour chez la femme est analogue à celle de castration chez l’homme.
Marthe :
- Cette angoisse-là, de perdre, ils la connaissent tous les deux, l’angoisse de perdre l’objet d’amour, l’angoisse de perte d’amour. Et je dirais que c’est commun pour les femmes et pour les hommes. Tandis que chez la femme, cette espèce d’analogie à l’angoisse de castration – c’est l’angoisse de séparation, pas l’angoisse de perte d’amour, parce qu’ils l’ont tous les deux.
Maria-Clara :
- Mais il faut toujours se rappeler que cette fameuse castration dont on parle tout le temps n’est qu’un symbol qui nous sert comme un instrument pour comprendre. Ce qui est à la base de tout, c’est la non toute-puissance de l’homme devant sa destinée, devant la mort. L’amour n’est pas un symbole, c’est la base, puisque c’est par l’amour que la mère ne va pas quitter son bébé et va lui donner à manger. Donc – soit homme ou femme, on a besoin d’amour au début.
- On dit que toute rencontre contient la séparation.
Marthe :
- Notre vie est faite de multitude de deuils, petits et grands. La séparation entraîne un mécanisme de deuil en nous, de devoir se séparer. Je pense que c’est inhérent à notre vie, ça fait partie de notre histoire.
Maria Clara :
- Pour vivre, à chaque foi il faut se séparer, il ne faut pas rentrer dans le ventre, sinon – vous mourrez. (Il y a ce mythe – de rentrer dans le ventre, de se fusionner). Et puis – pour vivre, il faut forcément défusionner, se séparer, à chaque fois.