Interview
avec Nathalie Bonnes, art-thérapeute
(Seconde
partie)
-
Par définition on traite l’anorexie par des soins multidisciplinaires,
pourrais-tu nous décrire quel est l’esprit et l’organisation du fonctionnement
de l’équipe dont tu fais partie ?
-
J’ai la chance
d’avoir rencontré un professeur en endocrinologie et re-nutrition très sensible
à la relation humaine et en capacité de remettre en cause son
« savoir » dans l’anorexie. Ce Monsieur s’appelle M Vialettes et il
est professeur et chef de service à la Timone hôpital très réputé à Marseille.
Lorsque je cherchais un stage pour ma formation d’art-thérapeute, il cherchait quelqu’un pour mettre « de
la culture dans l’anorexie » disait-il. Il m’a reçue et a accepté de
tenter, l’expérience avec l’art-thérapie dans l’anorexie, il a eu le courage de
me faire confiance sans savoir exactement où nous allions. Non seulement c’est
un homme fin dans sa clinique, mais en plus grand connaisseur de l’art en
général et l’art africain en particulier, la philosophie, la littérature…un
puits de science qui m’a beaucoup enseigné. Evidemment cette ouverture d’esprit
l’a amené à penser le soin à partir du sujet anorexique, ouvrant
l’espace à plusieurs disciplines :
la kinésithérapie, la diététique, la psychiatrie, la médecine nutritionnelle,
le soin infirmier, l’art-thérapie… toutes les personnes ont leur place dans le
service y compris le personnel de service qui peut parfois soutenir le soin par
sa relation au patient et les secrétaires qui, outre leur fonction de
confidente parfois, peuvent par exemple faire des photocopies de patrons quand
nous faisons du tricot ou de la couture…Tout le monde a son rôle à jouer dans
la prise en charge, chacun a sa place dans l’étayage du soin
médico-psychologique. L’art-thérapie et l’art-thérapeute sont connus et
reconnus par tous. Un espace repérable de tous y est dédié 2 fois par semaine.
Des échanges sont formalisés lors de réunions d’analyse de la pratique
soutenues par un pédopsychiatre psychanalyste d’un autre service, le PR Poinso
avec lequel je travaille dans les autres services (HDJ, Unité mères bébés,
psychopédagogie) et qui a co-écrit le livre avec M Vialettes et Mme Samuélian,
psychiatre du service. Tout est pensé autour du patient-sujet. C’est un travail riche et passionnant.
-
Comment est-ce que tu modifies ton travail en fonction de la structure
(psychose ou névrose) du patient anorexique ?
- Le névrosé, par le refoulement,
essaie d’éviter la rencontre avec l’impossible, l’insupportable, le réel. Ces
pensées insupportables tentent de faire retour
sous forme de lapsus, rêves, symptômes. C’est un évitement. Dans les
séances d’art-thérapie on amène le sujet à se confronter à cet impossible. On
l’amène à se décaler par rapport à ses modalités d’évitement. Ce qui explique
aussi que l’art-thérapie n’est pas du tout le lieu du bien être parce qu’on
vient se confronter à un « destin » qui est déjà scellé : il y a
un impossible structurel qu’il va falloir accepter. Mais en même temps quand on
accepte qu’il y a de l’impossible on accepte qu’à un moment « on n’y peut
plus rien, c’est comme ça » et c’est beaucoup moins difficile à porter d’être
conscient de ça. Donc dans la névrose on confronte le sujet à un impossible.
Vers ce S1, ce point où il n’y a plus de mot pour dire.[1]
Le psychotique, lui, est dans le
réel, il s’y confronte tous les jours, donc ce qu’on tente de faire c’est de
limiter ce réel, de le border. On cherche à créer un sinthome, une béquille qui va lui permettre de tenir. L’écriture
par exemple a été le sinthome de
Joyce. Durant les séances d’art-thérapie les patients s’accrochent quelques
fois à un des outils proposé, que ce soit la peinture, le modelage,
l’écriture…et l’on se rend compte par la suite quand ils viennent nous voir
qu’ils se sont inscrits dans des ateliers ou qu’ils continuent à écrire pour
eux ou pour partager…
-
A part l’art-thérapeute, en milieu hospitalier il existe encore un
protagoniste - celui du groupe, quel est son « poids » ?
-
Le groupe peut être un handicap comme il peut devenir
un allié de l’art-thérapeute : par exemple je travaille actuellement avec
des personnes ayant une obésité morbide. Je me suis rendue compte que ces
patients se cachent derrière le groupe pour éviter le travail, comme ils
peuvent se cacher derrière le poids. Du moins c’est ce que j’ai pu
observer, il ne s’agit pas d’en faire
une généralité, bien entendu.
Dans ma clinique de l’anorexie,
le groupe a été un allié : souvent ces personnes, en prise en charge
individuelle, vous remplissent de « paroles vides ». C’est une forme
de défense. Or, lorsqu’il y a un groupe, le patient va devoir mettre en place
des défenses vis à vie du groupe, des défenses vis-à-vis de l’art-thérapeute… Et c’est beaucoup plus difficile, il y a toujours un moment où il ne peut plus
tout mener de front. L’inconscient s’impose alors à leur insu.
-
Et si tu as quelque chose de nouveau à ajouter au sujet de l’anorexie, des
mois après la publication de ton livre…
-
Je conclurais
que la prise en charge des personnes anorexiques dans des espaces
d’art-thérapie s’avère un travail important dans une équipe pluridisciplinaire.
La pluridisciplinarité dans les services permet au patient d’avoir des lieux
d’accroches divers lui permettant de trouver sa place de sujet dans le soin. A
condition, bien entendu, que la parole du patient soit prise en compte par
l’équipe...
[1] A propos de l’usage de la notion lacanienne S1, auquel
Nathalie recourt ici, elle voulait rappeler ce que dit Bernard Seynhaeve dans
« Guerrier appliqué et destitution subjective » : À la fin de l’enseignement de Lacan, le S1
change. Il n’est plus seulement le signifiant maître qui représente un sujet
pour un autre signifiant. Il y a deux versants au S1. En tant que signifiant
maître, il représente le sujet à partir du moment où il s’articule à l’Autre.
Cela, c’est le versant de la chaîne signifiante. Et c’est aussi
l’inconscient-message à déchiffrer, selon Freud. C’est le versant des
formations de l’inconscient. C’est aussi celui du symptôme qu’on peut pour une
part déchiffrer. C’est la dimension symbolique.
Mais il y a un autre versant sur lequel Lacan met l’accent à la fin de son enseignement. C’est le S1 pris dans la dimension de la lettre. C’est le S1 pris dans sa dimension de réel. C’est le versant sinthomatique, ce qui ne se déchiffre pas, le versant jouissance non symbolisable, non réductible au signifiant, le versant jouissance inhérent au vivant, au corps du parlant. On se situe là dans la dimension de ce qui fait l’essence de l’homme, au joint du corps et du langage, à ce qui du langage s’incorpore au vivant, le corps qui jouit et qui parle, qui jouit de parler. L’incorporation du langage. Dans cette zone, S1 ne représente rien et par conséquent n’est pas du symbolique.
Mais il y a un autre versant sur lequel Lacan met l’accent à la fin de son enseignement. C’est le S1 pris dans la dimension de la lettre. C’est le S1 pris dans sa dimension de réel. C’est le versant sinthomatique, ce qui ne se déchiffre pas, le versant jouissance non symbolisable, non réductible au signifiant, le versant jouissance inhérent au vivant, au corps du parlant. On se situe là dans la dimension de ce qui fait l’essence de l’homme, au joint du corps et du langage, à ce qui du langage s’incorpore au vivant, le corps qui jouit et qui parle, qui jouit de parler. L’incorporation du langage. Dans cette zone, S1 ne représente rien et par conséquent n’est pas du symbolique.