Tuesday, December 22, 2009


André Michels : La Honte et la Culpabilité déchirent l’être humain
Carte de visite : André Michels est psychiatre et pratique la psychanalyse depuis 1979. Il s’est installé et travaille à Paris et à Luxembourg en même temps. Ses publications et son travail psychanalytique avec des patients s’exercent en trois langues – français, allemand, anglais. En tant qu’éditeur de littérature spécialisée en allemand, M. Michels continue la tradition freudienne de publier un livre par an, qui est un Yearbook, sur un sujet clinique. En France, dans une collection pareille sont parues deux volumes – un sur l’hystérie, l’autre sur le corps, et un troisième sur la sexualité est en voie de préparation.

En résumé
* La Culpabilité est liée à la voix de la conscience, la Honte s’organise autour du regard de l’autre
*La Culpabilité pèse sur tous, elle est un sentiment qui se transmet, qui a un héritage, et il y a un héritage de la Culpabilité aussi. Elle est en grande partie inconsciente et détermine nos actes.
* La Honte constitue l’intimité et la protège. Elle n’est pas disparue de nos sociétés, mais elle a changé de registre,
* Les limites de la Pudeur, de la Culpabilité et de la Honte sont retracées constamment avec la génération suivante
*Il y a un tragique chez l’être humain
* Il n’y a pas d’être humain sans avoir un Idéal
* De nombreux idéaux traditionnels, classiques se sont effondrés pendant le siècle passé. L’être humain revient d’une certaine façon sur lui-même, l’Idéal cherche son point d’ancrage au niveau du corps
* Chaque génération rencontre exactement les mêmes questions, mais doit développer d’autres réponses...
* L’image a un caractère de totalité qui enferme, elle captive et écrase l’être humain. Avec la parole apparaît la dimension de l’autre, la parole sauvegarde quelque chose de notre subjectivité.


-Qu-est-ce qui représentent, pour la psychanalyse, les concepts de Honte et de Culpabilité ?
Les deux concepts, traités par Freud (dont la Honte est moins développée), jouent un très grand rôle dans notre subjectivité moderne. On peut dire que la Culpabilité est liée à la voix de la conscience, alors que la Honte s’organise autour du regard et le regard de l’autre. On a honte sous le regard de l’autre, parce qu’on a peur de ce regard. Alors que la Culpabilité – c’est plus la voix, une voix qui souvent peut nous rappeler, qui nous culpabilise, qui peut nous réveiller, qui nous parle, qui s’adresse à nous, que nous entendons. Une voix qui est souvent aussi, disons, très exigente, sévère. Et pour distinguer ces deux termes, on peut les associer aux fonctions freudiennes de Surmoi et de l’Idéal de moi, et donc la Culpabilité est un produit du Surmoi, alors que la Honte est produit de I’idéal, de la constitution d’un Idéal. Je pense qu’il n’y a pas d’être humain sans avoir un Idéal, même le plus grand criminel, il est souvent poussé par un Idéal ; il peut y avoir un idéal fanatique, qui pousse, parfois des gens, même les dictateurs politiques - ils agissent souvent par un Idéal ou ils représent un Idéal pour le peuple. Et donc de voir à quoi correspond un Idéal et comment est-ce qu’il évolue, et comment est-ce qu’il fonctionne de nos jours, c’est une question qui est tout à fait au corps de l’actualité.
La Culpabilité est certainement un concept très ancien et c’est autour d’elle, de cette voix de la conscience que ce sont construites la réflexion religieuse et aussi, en partie, la pensée philosophique et politique.
- Vous me faites penser à la phrase d’Albert Camus « Quand nous tous serons coupables, ce serait la démocratie ».
- Oui, c’est une phrase intéressante, parce que nous avons souvent l’idée qu’il y a des gens qui n’ont pas de Culpabilité, qui vivent comme s’ils n’avaient pas de Culpabilité. Et je crois que là, Camus était peut-êttre un peu plus optimiste, parce que s’il aurait eu de l’expérience clinique, il aurait pu se rendre compte que tout le monde souffre de la Culpabilité, même les gens qui apparemment n’en ont pas, comme certains alcooliques, pervers ou criminels, ces gens-là souffrent d’une Culpabilité qui est souvent encore beaucoup plus grande que celle du sujet névrosé normal. Oui, mais ils ne trouvent pas les moyens de la gérer.
Dans la conception traditionnelle de la névrose, telle que Freud a élaborée, le noyau de la névrose c’est la Culpabilité, la Culpabilité d’avoir mal fait, d’avoir mal agi et dans la conception freudienne – d’avoir transgressé une loi, même si c’est en pensées.On ne peut pas faire de l’abstraction de ça chez quelqu’un, mais il s’agit après de voir par quel biais l’aborder, comment traiter la Culpabilité, ça peut être une question... On dit souvent qu’il y a des gens sans Culpabilité ni Honte, on dit ça de ceratains criminel et surtout des criminels de guerre. Parmi les criminels nazis souvent dans l’après-coup on est étonné qu’ils arrivent à vivre normalement, pour ceux qui n’ont pas été condamnés et qui ont échappés à toute persécution après guerre, qui apparemment vivent normalement, qui apparemment n’ont pas de Honte, pas de Culpabilité, qui réclament et adhèrent toujours à cette idéologie nazie. Et ça existe. Et c’est même relativement fréquent. Et on se demande comment est-ce que ça fonctionne...Alors, ce qu’on voit chez ces gens-là, c’est que ce sont les enfants chez qui quelque chose se transmet, c’est la génération après qui se trouve dans une siuation tout à fait difficile, impossible à aborder, d’autant plus que les parents n’en ont pas parlé de ce qui s’est passé, n’ont pas parlé de leur propre implication dans un certain nombre de crimes et on voit, dans notre pratique dans tous le pays occidentaux, beaucoup de gens dont les parents ont été impliqués dans des crimes de guerre et qui, eux, sont obligés de s’intéresser à la Çulpabilité et à la Honte. Ce qui veut dire (surtout pour la Culpabilité) que c’est un sentiment qui se transmet, qui a un héritage, et il y a un héritage de la Culpabilité aussi. Ce qui est important à dire en parlant de la Culpabilité, c’est que la majeure partie de cette Culpabilité est inconsciente. Il y a une partie dont nous nous rendons compte et une grande partie dont nous ne nous apercevons pas. Les psys s’aperçoivent beaucoup de ça chez leurs patients à quel point les actes de beaucoup d’individus sont déterminés par leur Culpabilité. Et beaucoup de gens agissent ou font des choses qui ne sont pas bien, qui sont répréhensibles, par Culpabilité, c-à-d que d’une certaine façon pour pouvoir être punis.
- Comme disait Freud « criminel par sentiment de Culpabilité » ?
- Voilà, c’est un exemple qui est plus radicale, plus extrême, d’être criminel par sentiment de Culpabilité, mais ça se retrouve sous une forme atténuée chez la plupart. Et dans les cas d’adultère, par exemple, la personne qui la commet inconsciemment ou consciemment (mais c’est plus souvent inconsciemment) s’arrange pour que l’autre sache quand-même et donc pour être apaisé par le poids de cette Culpabilité, parce que, comme chaque transgression, même celui qui dit: « Moi, je ne me sens pas coupable », ça, ce n’est pas sûr, il le dit, peut-être, pour se rassurer. C’est un cas de figure qui est le plus banal, mais parfois il y a des gens qui, après, par Culpabilité font des choses beaucoup plus graves pour se faire punir, pour apaiser cette Culpabilité.
- Donc la Culabilité est un poids qu’on va (sup)porter toute sa vie ?
- Oui, d’une certaine façon, mais c’est important de s’en apercevoir, parce que la conception freudienne de l’être humain est qu’il y a un tragique chez lui, même si notre modernité ne veut rien savoir de ça. On s’imagine qu’on peut y échapper à cette notion de tragique et j’en suis moins sûr..... Une expression de ce tragique que Freud a découvert chez l’être humain normal, névrosé, névrosé, donc – normal pour la psychanalyse, c’est que chacun essaye de s’arranger avec ces complexes-là que j’ai décrits à sa manière, chacun élabore sa propre névrose, ce qui veut dire – sa propre version de ce complexe tragique dont la culpabilité est une expression parmi les autres, pas la seule. Et on peut dire que la Culpabilité fait lien, elle fait lien social, mais aussi - entre les générations. Il n’y a rien de plus classique que de se sentir coupable vis-à-vis de ses parents ou ce sont des parents qui se sentent coupables vis-à-vis de leurs enfants. Aujourd’hui on a l’impression que ce sont les parents qui ont plus de Culpabilité vis-à-vis des enfants, que l’envers, ça peut-être caractérise notre époque, on a l’impression qu’il fut un temps ou les parents étaient plus sûrs de leurs droits de parents, alors que aujourd’hui ils doutent et doutent beaucoup de même - est-ce que je fais tout ce qu’il faut pour mes enfants, est-ce que je leur donne toutes leurs chances ? On voit que souvent les parents se sacrifient, presque, sont devenus les serviteurs de leurs enfants, pour qu’ils arrivent, et se culpabilisent. Il y a un lien-là qui fonctionne, un lien qui est três important, qui est constitutif de l’humain, qui nous différencie du monde animal, un lien très fort dont on ne s’aperçoit que quand il ne fonctionne pas, quand il n’existe pas ou quand il est devenu difficile.
- Je vous fais revenir au sujet du corps, aujourd’hui, me paraît-il le corps a deux statuts – fétichisé et maltraité en même temps, avec toutes ces interventions chirurgicales auxquelles nous le soumettons....
- En parlant du corps, il faut avoir en vue une notion que Lacan a développée et que Françoise Dolto a ensuite reprise – c’est la notion de l’image du corps et donc – de la représentation du corps. Cette image que nous avons souvent à notre insu, elle a une partie inconsciente, mais un inconscient que nous trouvons au dehors, dans la société. On peut dire que notre société produit un idéal, dans lequel la représentation du corps joue un très grand rôle. Et dans notre modernité cela nous revient de façon très frappante, très flagrante à quel point même les enfants dès le plus jeune âge sont confrontés à la représentation du corps idéal. Pour celui qui a l’occasion de travailler avec des femmes sur le plan psychanalytique ou autre, c’est à tous les niveaux qu’on s’aperçoit à quel degré elles sont préoccupées par l’image du corps et toute une industrie fonctionne autour de cela – l’industrie de la mode, et puis – toutes ces interventions sur le corps qui sont de plus en plus fréquentes, qui en particulier nous viennent des Etats-Unis, mais l’Europe est complétement envahie. En Amérique Latine, au Brésil, la chirurgie esthétique est très bien développée, c’est un phénomène qui traverse le monde entier et la question qui se pose derrière est celle de l’Idéal – comment fonctionne un Idéal? Et on peut dire, on peut faire l’hypothèse, si on regarde l’histoire du siècle dernier, le XX-ième siècle, que ce qui le caractérise, c’est un écroulement d’un certain nombre d’idéaux traditionnels, classiques qui ont échoué de façon tellement flagrante, qu’on est, disons, en mal d’idéaux. Je pense en particulier à la chute des totalitarismes du XX-ième siècle, c’était aussi signer l’échec d’un certains nombre d’idéaux – éthiques, moraux, philosophiques, etc., qui quand même étaient le fondement, le ciment de la société. Aujourd’hui parler d’un Idéal patriotique, c’est un peu démodé, ça fait sourire, aujourd’hui ça fait sourire, heureusement. Mais fut un temps où les gens se faisaient tuer pour ça. Et puis il y avait d’autres idéaux, l’Idéal du communisme, qui s’est lamentablement écrasé. Donc, il ne reste pas grande chose de ces idéaux. Et alors, à ce temps-là on a l’impression que l’être humain revienne d’une certaine façon à un point zéro, à un point d’ancrage, revienne sur lui-même et que c’est l’idéal qui cherche son point d’ancrage au niveau du corps, au niveau d’une représentation du corps qui joue un rôle croissant de nos jours. Et c’est un mécanisme –là (pour revenir à une constellation plus psychanalytique), qui se joue chez les enfants tout petits, qui commence à très jeune âge. C’est que l’on suppose, on admet qu’à l’origine il y a une sorte de narcissisme primaire qui est tout à fait indispensable, dont l’enfant a besoin et autour de ce narcissisme il se construit (et on associe souvent des jeunes enfants dont on parle en terme de majesté, on dit « His Majesty The Baby »). L’enfant a besoin de ça et qui lui donne une confiance fondementale en lui et on voit à quel point c’est dramatique quand l’enfant n’a pas cette confiance en lui-même. Mais alors, très jeune, il est délogé de cette position parce qu’il se rend compte, quand il va dans le monde, qu’il n’est pas tout-puissant (alors que dans ce narcissisme primaire il se croit tout-puissant). Et l’opération la plus difficile que l’enfant doit faire en rentrant à l’école, avec sa scolarisation, c’est de substituer ce narcissisme initiale, par des idéaux qui sont élaborés progressivement. Et on voit une difficulté d’apprentissage chez les enfants qui n’acceptent pas ça. Ils viennent à l’école primaire, ils ont 6-7 ans et on leur dit d’apprendre, et alors – apprendre veut dire qu’on ne sait pas. Et donc c’est impossible. Il y a des enfants pour lesquels c’est absolument inacceptable de ne pas savoir déjà, parce que pour eux accepter de ne pas savoir, ça veut dire être défaillant à partir de ce moment-là. Pour certains c’est difficile. Juste pour vous montrer, pour illustrer à quel point c’est fondemental, c’est radical et à quel point ça commence très tôt dans la vie, à quel point c’est une question qui se pose pour tous le monde - de remplacer un Idéal primaire centré autour d’une image du corps, le narcissisme, à savoir l’image du corps, et d’accepter la perte d’une perfection pour pouvoir élaborer un Idéal vivable. Et on voit beaucoup d’adultes qui sont engagés dans la recherche de la perfection. Et cette recherche de la perfection, elle demande d’abord une énergie considérable et peut à la limite pousser chez la mort. Parce que la perfection est d’une certaine façon mortelle. Il n’y a que la mort qui soit parfaite, absolue. Alors que si on se situe à côté des vivants, on est obligé d’admettre qu’on n’est pas le plus beau, la plus belle, la plus intelligente, le plus riche, etc., donc on est confronté à ses propres failles. Et je pense que cette notion d’Idéal permet de comprendre un certain nombre de mécanismes qui fonctionnent dans notre société et qui, disons, déterminent aussi le rapport au corps.
- Probablement – aussi la féminisation du corps masculin. Est-ce qu’elle peut être la réponse d’un féminisme précédent, acharné ?
- Oui, on peut se poser cette question et effectivement – qu’est-ce qui se passe au niveau de la relation entre l’homme et la femme. Et on a l’impression que là aussi il y a quelque chose de fondemental qui est en train de se passer. C’est vrai qu’un certain féminisme qui correspondait à une certaine époque ne fonctionne, peut-être, plus de la même façon aujourd’hui, parce que certain nombre de revendications que les femmes ont eues, sont dépassées : aujourd’hui une femme trouve accès (du moins dans nos sociétés occidentales) de plus en plus aux mêmes professions que les hommes, aux positions de pouvoir, même si on peut toujours dire qu’il y a encore beaucoup de travail à faire, c’est vrai, tout n’est pas parfait, mais il y a un mouvement dans un certain sens et où, à l’heure actuelle, se sont souvent plutôt les hommes qui ont énormément de difficultés à trouver leur place, qui n’ont plus les anciens idéaux qui leur donnaient leurs places de fils. Et on le voit de plus en plus dans la société, et aussi pour la génération suivante, à quel point les jeunes filles sont beaucoup plus sûres d’elles que les garçons, qui sont complètement paumés souvent, qui ont beaucoup de difficultés à trouver leur place, dans leur corps, à l’école aux niveaux des études… On voit que les filles d’abord sont beaucoup plus nombreuses à l’Université, réussissent souvent mieux que les garçons, donc il y a un changement qui est en train de se produire, qui est fondamental et qui transforme notre société. Ce n’est plus la même société. Les rôles de l’homme et de la femme ne sont plus les mêmes, parce que les idéaux ne sont plus les mêmes. Et en faite, j’ai dit - on est en mal d’idéaux, c-à-d que l’on est en train de chercher de nouveaux points de référence. Et donc il est tout à fait (et peut-être) dans ce même mouvement qu’on peut dire aussi qu’il y a une sorte de féminisation du corps de l’homme qui se produit et dont on ne sait pas à l’heure actuelle, il est difficile, on peut faire des hypothèses, comme vous l’avez dit – est-ce que c’est une réaction au féminisme d’avant, ou est-ce que c’est une tentative pour certains hommes de retrouver, d’élaborer un autre Idéal du corps de l’homme en référence à, c.-à-d. on a l’impression que les hommes suivent les femmes et vont dans le même mouvement que le femmes – de s’intéresser aux produits de beauté, le corps épilé...Et fut un temps, encore très récent, où c’était l’antithèse de la virilité – c’étaient les poils, les muscles, etc., alors que aujourd’hui ce n’est pas du tout l’idéal, aujourd’hui ça nous paraîtra ridicule. C’est un phénomène qu’on constate et on ne sait pas – est-ce que c’est un épiphénomène qui accompagne un mouvement, ou est-ce que c’est autour de cela que va se cristaliser un nouvel Idéal masculin. Je ne sais rien, je pense que de toute façon l’évolution des choses ne va pas se centrer autour de l’image. Je crois qu’à l’heure actuelle l’image joue une fonction telle, mais qui est écrasante. Parce que le problème de l’image est qu’elle signifie par elle-même, on n’a plus besoin de parler, la parole est éliminée – si comme si vous pouvez avoir une civilisation sans paroles.
- Mais il me semble qu’en telle nous transmutons– une civilisation voyeuse (voyeuriste) qui transmet et consomme des images. Internet, caméras, reality-shows ont envahi même le plus intime...
- Cette image, cette visualisation du corps va de plus en plus loin, jusqu’à les parties intimes et nous permet aussi de revenir sur la question de la honte. Elle n’est pas disparue de nos sociétés, mais elle a changé de registre, elle est déplacé, parce que ce qui était de l’ordre de l’intimité à une certaine époque, aujourd’hui est montré au jour le jour. Vous avez fait allusion à la reality-show, donc on peut participer même à l’intimité des gens, à la vie intérieure, c’est justement une reality, parce que c’est une partie de la réalité qui jusqu’à là faisait partie de l’intimité et qu’on ne montrait pas. Mais aujurd’hui on veut montrer tout ça. Donc c’est comme si la limite de la Honte s’était déplacée. La Honte d’une certaine façon a une fonction très importante, parce qu’elle constitue l’intimité et la protège. C’est parce qu’on a Honte, qu’on dit : « Ah, non, ça c’est trop, je ne veux pas au-delà. » Ça permet de tracer une ligne qu’on ne veut pas déplacer et qu’il faut respecter quand on est avec quelqu’un, aussi même avec un partenaire, c’est pas seulement avec un ami, ou un étranger, mais aussi avec son propre partenaire, avec la personne avec laquelle on est le plus proche, on est obligé d’autant plus de respecter la limite de la Honte, la ligne qui est tracée à ne pas dépasser, au delà de laquelle on fait Honte à quelqu’un. Et aujourd’hui on fait semblant comme si on pouvait la dépasser, cette limite, mais je pense que ce n’est pas quelque chose dont il faut trop s’inquiéter, parce que chaque époque déplace les limites, est obligée, et en particulier – au niveau de l’Art. L’Art fonctionne par le fait de chaque fois dépasser la norme, d’être un peu dans la transgression, autrement ça devient de la peinture académique, normative. Et pour revenir à la question de la représentation du corps – là, aujourd’hui on déplace certaines limites, mais on peut être sûr que d’autres barrières, mêmes si on a l’impression qu’on a déplacé toutes les barrières, il y en a d’autres qui apparaissent. En faite d’une certaine façon ces barrières que sont la Pudeur, la Culpabilité et surtout – la Honte, sont retracées constamment. Et on voit la génération de mai 68 en France qui a déplacé un certain nombre de limites par rapport à la génération précédente, donc, c’était un phénomène pour cette génération, et on voit que ça ne veut pas dire que les enfants de cette génération aillent dans le même sens que leurs parents. Et on voit aujourd’hui des enfants qui sont souvent des gens très pudiques, alors qu’ils vivent dans un monde où la pornographie est accessible à tout le monde et même des corps dévétus on les voit à la télé, dans les pubs, partout, etc... Et on voit que chaque génération d’une certaine façon rencontre les mêmes questions, exactement les mêmes, mais doit développer d’autres réponses...
-Peut-on espérer que la parole gardera son rôle ?
- Oui, il faut espérer, bien entendu. L’image captive l’être humain, l’aspire d’une certaine façon. Alors que avec la parole, il y a la dimension de l’autre qui apparaît et l’image d’une certaine façon est fragmentée. L’image a un caractère de totalité qui enferme, alors que la parole brise l’image, donc elle est extrémement importante. La parole sauvegarde quelque chose de la subjectivité de chacun et lui permet de formuler, de pouvoir dire « Je » : « Je pense », « Je dis». Alors que dans l’image il n’y a pas de sujet. C’est ça qui est terrible. Dans l’image le sujet est exclu, et toute la place et la fonction de la psychanalyse est justement d’accorder la plus haute importance à la parole propre. Parmi toutes les formes de psychotérapies qui existestent à l’heure actuelle et qui sont multiples, elle est la seule qui en fait s’élabore à partir de la question du sujet. On peut dire en général pour la psychanalyse qu’elle accorde une place centrale au sujet.
PS Texte publié dans la presse bulgare