Saturday, September 15, 2007

Professeur Alain Vanier:
La vie n’est pas une chose facile

*Une dimension de la vie n’a pas de sens, ce qui n’empêche pas de vivre, même - avec de la gaieté
*Le sujet moderne se sent de plus en plus perdu entre le manque de positions communes traditionnelles et le discours impératif qui vient des spécialistes
*La mort d’un enfant est un deuil impossible, la mort d’un enfant ne se dépasse pas
*Ce qui est vivant – c’est de rester un être désirant

Le psychiatre français Alain Vanier est professeur de psychopathologie à l’Université Denis Didrot à Paris. Son parcours professionnel est marqué par la connaissance et la collaboration avec les deux grands noms de la psychanalyse d’enfant – Françoise Dolto et Maud Mannoni. De 1972 à 1982 il travaille avec Mannoni dans son école expérimentale à Bonneuil où on applique les principes psychanalytiques. Dans sa pratique, docteur Alain Vanier consulte des enfants et des adultes. Son livre sur le grand psychanalyste français Lacan est paru en traduction bulgare il y a quelques années.

- Dans un plan plus philosophique, avez-vous trouvé le sens de la vie? Si, bien-sûr, ma question n’est pas trop personnelle...
- Non, non. La psychanalyse n’est pas une philosophie, ni une religion. Elle ne répond pas au sens de la vie.Ce qu’on trouve comme sens de la vie à la fin d’une analyse, c’est qu’on rencontre quelque chose de son propre désir et au fond ce désir peut paraître absurde, qui est ce qui nous travaille et ce qui nous occupe, et quelque chose en soi, qui nous fait avancer. Sans qu’il y ait besoin de trouver du sens, parce que - en mentionnant le sens, on vire tout de suite à la religion. C’est ça le problème du sens. Il y a une dimension de la vie qui n’a pas de sens, mais ça n’empêche pas qu’on peut désirer la vie et qu’on peut désirer vivre. La psychanalyse n’est pas fait pour donner du sens, mais pour interroger la question du sens et pour interroger le désarroi du sujet moderne face à la science, face à l’avancé de la science qui nous donne un savoir et un pouvoir sur une matière considérable, mais qui ne nous donne pas le sens pour la vie. La science ne dit pas, prenons l’exemple des bébés qu’on réanime dont on a parlé ce matin, elle ne dit pas quand il faut arrêter la réanimation. La science ne dit pas à partir du quand commence un sujet – est-ce que c’est au moment de la conception, à 25 semaines de la grossesse, est-ce que c’est après la naissance, est-ce que le foetus a une âme ou n’a pas d’âme. Les religions disent ça. La science ne peut pas donner du sens à tout ça. Et si nous revenons à la psychanalyse – elle ne propose pas de moral pour tous, ni de solutions bonnes pour tous. Elle ne donne aucune promesse de bonheur, la psychanalyse ne délivre pas de la souffrance qu’il y a dans la vie, de la difficulté de vivre, ne délivre pas de la mort.
- Mais on s’adresse au psy comme à quelqu’un supposé savoir et pouvoir nous aider...
- Oui, parce que comme disait Freud – on peut transformer le malheur hystérique en misère ordinaire. Il y a une misère ordinaire avec laquelle on peut vivre et on peut vivre avec gaieté.
- Je ne touve pas que les souffrances humaines peuvent être mesurées ni comparées, mais elles sont de dimensions différentes, quand même, – si nous prenons l’hésitation d’une femme entre deux hommes et la douleur d’une mère, ayant perdu son enfant.
- La mort d’un enfant est à mon avis peut-être un deuil impossible. Je crois que la mort d’un enfant est quelque chose dont on ne fait pas le deuil. Mais peut-être qu’avec une analyse une femme pourra mieux vivre, moins douleureusement avec ce noyau de souffrance, sans y ajouter encore de la culpabilité. Elle vivra avec ça, en sachant qu’on peut vivre avec, même si c’est très douleureux et même si c’est peut-être pas dépassable.
- Et comment Freud a-t-il supporté la mort de sa fille ?
- Beaucoup de lettres de Freud témoignent que pour lui c’est la pire des souffrances. Mais Freud, bien que c’est peut-être la chose qu’il n’a jamais vraiment dépassé, est resté accroché à la psychanalyse et à son désir d’avancer. Et ça – c’est la vie, c’est ce qui est vivant. Ce qui est vivant – c’est de rester désirant.
- Dans la pièce « Le visiteur » du dramaturge français Eric-Emmanuel Schmitt, Freud dit que la perte d’un enfant est pire pour un athéiste, parce qu’il sait qu’elle est à jamais.
- C’est pour cela que Freud pensait que la religion nous maintient dans une certaine position infantile, mais grâce à cette position infantile, on avait moins de nevroses, mais en même temps on perdait beaucoup de liberté. La liberté se conquiert grâce, avec, l’athéisme moderne, avec l’athéisme psychanalytique, mais ça se paye d’un certain prix.
- Quelles sont les malaises de l’homme contemporain ?
- Autrefois nous avions tous une éthique du désir. Un homme à chaque moment de sa vie à cause de la tradition, à cause de la religion, savait toujours les choix qu’il devait faire dans sa vie. Je raconte souvent cette histoire – je vois beaucoup d’hommes venir me consulter, parce qu’ils ont une femme et une maîtresse et ils hésitent entre les deux. Autrefois – un homme restait avec sa femme, parce que le mariage était un acte religieux, sacré, et il avait une maîtresse à côté. Aujourd’hui un homme s’interroge s’il faut rester avec sa femme et ses enfants pour être responsable de la famille ou s’il doit suivre le sens de son désir et quitter sa femme pour aller avec sa maîtresse. Et l’homme d’aujourd’hui – il ne sait plus, il n’a plus les repères. La religion ? – on croit au Dieu, mais on y croit sans très croire et c’est trop compliqué. Il y a 5 siècles, personne ne doutait que Dieu existait...Vous voyez – aujourd’hui nous n’avons plus de position commune, due à la tradition qui nous dit quoi faire avec notre désir. C’est l’un des problèmes du sujet moderne et c’est pour ça qu’il est trop perdu et donc il cherche – quoi faire, comment faire, comment mener sa vie. C’est une des questions fondementales aujourd’hui, une des difficultés modernes très importante. Et avec quelque chose de très impérative qui vient du discours des spécialistes – il faut avoir, je ne sais combien d’enfants – pas un, mais pas trois, deux, il faut qu’une femme mène sa carrière, il faut, il faut... Tous ces « il faut », comme il y en a plusieurs, il y en a différents suivant les groupes différents, suivant les discours qui sont autours de nous, sont très multiples et les gens ne savent plus comment se débrouiller avec leur vie. Parce que la vie n’est pas une chose facile.
- En psychanalyse on parle souvent du rôle séparateur du père et presque pas – de son amour...
- La question de l’amour du père est une question très importante dans le développement d’un enfant et a une fonction importante dans la vie des adultes aussi. Mais la fonction importante pour la structure du sujet, importante pour que le sujet puisse se séparer de ce premier lieu qui est le lieu maternel, c’est une fonction séparatrice. Pourquoi c’est fondemental? Parce que pour qu’un sujet puisse naître, il faut qu’il puisse sortir du champs maternel, sinon – il n’y a pas de sujet. Ça n’empêche pas l’amour, mais l’amour n’a pas une fonction opérante comme la fonction séparatrice. Ce qui est séparateur – c’est pas que le père soit un père autoritaire, c’est que quelque chose du désir de la mère ne soit pas complètement occupée par l’enfant. Que l’enfant n’est pas tout pour la mère et que quelque chose de la mère trouve à s’occuper avec quelqu’un d’autre ou avec d’autre chose. Alors dans notre culture c’est le père, ce qui ne veut pas dire que c’est toujours lui.
- Comme thérapeute d’enfant pouvez-vous nous expliquer ce diagnostic moderne – les enfants dits hypperactifs ?
- C’est un nouveau diagnostic pour des enfants qui ne tiennent pas en place, ce qu’on aurait appelé autrefois des enfants turbulents, qui ont souvent des troubles d’attention, qui sont très agités et effectivement dans mon expérience, c’est très multiple – parmi eux il y a des enfants qui ont de graves souffrances psychiques, il y en a d’autres qui sont obsessionnels, un peu trop au prise avec le désir de leurs mères et qui ont du mal à se débrouiller avec ça. La thérapie analytique avec eux marche plutôt bien, mais aujourd’hui la mode est de leur donner des médicaments, et cette mode est très discutée aux Etats-Unis, où on a donné énormément d’amphétamines et c’est un traitement qui a des inconvénients. C’est quand-même très curieux de donner aux enfants des médicaments qui sont interdits pour les adultes.
- Votre opinion sur le fait que l’histoire de l’humanité n’est qu’une histoire de guerres et de violence. Sont-elles dans la nature humaine l’agression et l’envie de vouloir toujours gouverner l’autre ?
- Il y a un échange de lettres intéressant entre Einstein et Freud qui était publié sous le titre « Pourquoi la guerre?» Cet échange avait été fait à l’iniciative de la Société des Nations. Et dans cette lettre Freud répond que tout premier pouvoir concernant un bien entre deux hommes, c’était le pouvoir de la force. A un moment donné l’homme a commencé à exploiter son semblable au lieu de tuer son ennemi, il l’a pris comme esclave pour augmenter sa richesse et sa production. Mais en faisant l’autre un esclave, il a perdu quelque chose de sa sécurité, parce que un esclave peut devenir dangeureux à son tour. Et je crois qu’aujourd’hui les guerres restent quelque chose comme ça qui est un mélange à la fois de pulsion de vie et de pulsion de mort, c’est pas simplement mortel. Les guerres sont plus tentatives effectivement d’accroître le pouvoir, de prendre le bien du voisin et ça fait partie de la nature humaine. Oui, oui – ça fait partie de la nature humaine. Et il faudrait un très haut degré de civilisation pour que nous renoncions à ces pulsions, à cette jouissance, qui est de prendre le bien de l’autre. Nous voulons toujours ce que l’autre a. C’est un fait désiré.