Thursday, November 13, 2008

Dominique Gobert: L’adolescence – le passage difficile à la maturité


C’est un processus de séparation avec les parents, de mise en place de la sexualité d’adulte et de quelque essaie de pouvoir assumer une certaine solitude

Carte de visite:
D-r Dominique Gobert est pédopsychiatre et psychanalyste, spécialiste des problèmes de l’adolescence. A présent elle est Médecin-Directeur de l’Hôpital du jour pour adolescents à Ville d’Avray où on accueille de jeunes gens de 13 à 20 ans, avec des diagnostics différents, mais dont les difficultés psychiques ne leur permettent plus de suivre une scolarité normale. C’est pour ça qu’à Ville d’Avray on leur propose des études secondaires adaptés à chacun et des soins thérapeutiques, puisque l’Hôpital du jour est en référence avec la psychanalyse. Dominique Gobert a visité la Bulgarie pour prendre part dans un colloque psychanalytique franco-bulgare à Varna où nous avons profité de l’occasion pour la questionner sur les problèmes que pose l’adolescence.

- Est-ce que l’adolescence est une période de crise, Mme Gobert?
- Peut-être plutôt que le terme “crise”, maintenant on utilise le terme “processus”, “processus de l’adolescence”. D’un côté c’est la sexualité d’adulte qui se met en place à partir de l’adolescence. Et l’autre chose très importante - c’est quand même le travail psychique qui permettra à l’adolescent qui devient adulte de se séparer de ses parents et de vivre de façon autonome par rapport à ses parents. C’est pourquoi il y a une crise aussi chez les uns comme chez les autres. L’adolescence est un passage de l’état d’enfant à l’état d’adulte qui avant était marqué par des rituels d'initiation qui étaient très brutaux, il y avait même des morts. Actuellement des rituels pareils n’existent plus et l’adolescence est simplement le processus qui permet la séparation entre les parents et les enfants et par ailleurs, la mise en place de la sexualité d’adulte.
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L’adolescence met à l’épreuve les relations avec les parents, mais aussi – les relations avec la fratrie dans une famille. Et parfois certains gens ne parviennent jamais à s’émanciper de leurs frères ou sœurs cadets, restent fascinés en quelque sorte, surtout si les derniers sont estimés “plus prospères” dans la vie.
- Comme vous le savez, pour nous, les psychanalystes, chaque cas est singulier et dans chaque cas il y a beaucoup de différences. Et il est évident que selon son histoire, on peut être lié de façon tout à fait fusionnée ou d’avoir une emprise sur quelqu’un et ce quelqu’un peut être un frère ou une sœur.
Mais ce que nous observons, c’est par exemple un phénomène intéressant chez les pré adolescents d’une dizaine d’années avec des frères et des sœurs plus âgés. En voyant le processus adolescent qui se passe mal chez les aînés, ils anticipent leurs propres difficultés, ceux qu’ils pensent vont avoir (les mêmes que leurs frères et sœurs) avec les parents et ils préfèrent avoir une attitude régressive, rester dans l’enfance, parce que ça leur fait peur. C’est quelque chose qui est projeté comme une anticipation sur les frères ou les sœurs adolescents.
- Pendant le colloque vous avez mentionné que les phobies sociales sont très répandues chez les jeunes en France. Qu’est-ce qu’elles représentent, selon vous?
- Ces phobies sociales démarrent à l’adolescence, il y en a dans l’enfance, bien sûr, mais souvent elles démarrent à l’adolescence. Et pas tous, mais il y a des adultes qui restent dans la phobie sociale, qui ne peuvent plus aller travailler, qui ne peuvent pas quitter la maison familiale.
Pour moi, c’est quand même l’inverse du processus de l’adolescence. Pourquoi? Si on revient à la définition qui est pour moi le processus de l’adolescence, qui serait - d’une part, la mise en place d’une sexualité avec l’autre sexe, et par ailleurs – une mise à distance de la relation telle quelle est avec les parents (c.-à-d. de passer à une position d’adulte par rapport aux parents), c’est sûr que l’adolescent qui s’enferme chez lui et qui vit dans un monde virtuel avec Internet, évite ces deux processus. Il ne rencontre pas l’Autre, parce qu’il le rencontre dans un système virtuel qui a le défaut soit d’aboutir à des rencontres réelles quelques peu dangereuses, soit à des rencontres tout à fait virtuelles, qui n’arrivent jamais dans la rencontre de l’Autre. Et par ailleurs et évidemment, l’adolescent ne quitte pas la maison familiale. Donc, c’est l’inverse du processus de l’adolescence. Et on voit, à mon avis, beaucoup de jeunes comme ça, probablement parce que l’espace virtuel est offert actuellement (qui n’existait pas auparavant) et que les jeunes ne s’ennuient pas avec l’Internet et avec l’ordinateur. Et deuxièmement - il est fort possible que les parents eux-mêmes ont du mal à ce que l’enfant s’éloigne d’eux. Et je dirais que d’une certaine façon, à leur insu, ils ne favorisent pas toujours le fait qu’à ce moment-là l’adolescent puisse se détacher d’eux.
- Est-ce qu’on peut périphraser que la phobie sociale est une solitude du sujet moderne?
- Je pose que c’est un isolement et que la solitude - c’est autre chose. Le passage de l’adolescence - c’est aussi quelque essaie de s’assumer seul, alors que l’isolement c’est l’inverse de ça, c.-à-d. – qu’on ne peut pas supporter de quitter ses parents, de rencontrer l’Autre.
- En France est très actuel le sujet des enfants dits “surdoués”, même parmi mes connaissances il y en a des gens dont les enfants ont été testés. Il me semble qu’il s’agit d’un engouement (d’une mode) qui arrivera bientôt chez nous aussi.
- Le problème est que le fait d’être surdoué ça correspond pratiquement à un phénomène statistique, c.-à-d. – les surdoués représentent, je crois, 2 ou 5% de la population. Et le fait qu’on explique maintenant beaucoup de difficultés par le fait que l’enfant est surdoué, part presque d’une inversion, car avant on pensait que les enfants qui étaient différents des autres, étaient des débiles. Actuellement on assiste presque à une inversion – que les enfants qui seraient différents des autres, seraient, au contraire – très intelligents. Moi, je pense, que forcément puisque c’est une statistique, il ne peut pas y avoir plus d’enfants surdoués qu’avant et en revanche - que les parents cherchent de plus en plus à expliquer les difficultés de leur enfant par le fait qu’il soit surdoué. Or, je pense qu’effectivement il y a des enfants surdoués qui ont des problèmes particuliers, mais ils ont toujours posé, parce que c’étaient des enfants qui sont très précocement en avance, de plusieurs années. Mais c’est quand même rarissime, ça représente une faible part de la population et les gens qui vérifient si leur enfant est surdoué sont actuellement très nombreux. L’information est diffusée sur Internet aussi et quand un enfant a une difficulté, c’est sans doute plus facile de se dire d’abord – “mais est-ce qu’il est surdoué?”, parce que c’est quelque chose de valorisant. Je pense que les parents se disent “est-ce que j’y suis pour quelque chose?”, mais du coup ça les angoisse et ils préfèrent d’abord vérifier si l’enfant n’est pas par hasard beaucoup plus intelligent que les autres.
- Quand est-ce que vous recommandez aux parents de consulter un psychanalyste?
- D’une façon générale, les parents s’adressent à un psy quand ils sont débordés par leur adolescent. Mais on arrive souvent à des choses insidieuses comme un repli sur soi ou comme un adolescent qui se met à ne plus parler, où les parents ne sont pas forcément débordés et qui pourtant sont un signe d’alerte auquel il faut être vigilant et proposer une consultation. Il n’y a pas seulement les côtés explosives de la pathologie, il y a aussi le retrait sur soi, le repli sur soi, l’absence des paroles qui doivent inquiéter les parents.
D’autre part, à l’adolescence les spécialistes doivent avoir une très grande prudence sur le diagnostic à poser. Par exemple ce qu’on appelle maintenant “les psychoses émergentes”ne s’organisent pas forcément dans une maladie psychique chronique - il y en a 1/3 qui s’organiseront dans une maladie psychotique adulte, 1/3 qui donneront des récidives tout au long de la vie et 1/3 dont on s’en sortira.
PS Interview publiée dans la presse bulgare