Nathalie Bonnes: L’art-thérapie - méthode de soin dans l’intermédiaire entre art et psychanalyse
(Première partie)
(Première partie)
Carte de visite : Nathalie
Bonnes travaille comme art-thérapeute dans les hôpitaux de Marseille (Sud de la
France) depuis 2005. Elle y exerce dans
des services différents et qui reçoivent un public très varié : enfants et
adolescents autistes, psychotiques, en difficultés sociales et familiales ou
rencontrant des difficultés assez lourdes comme l’anorexie, « la
dépression », mais aussi en Unité « Mères- bébés » et en service
de re-nutrition avec des personnes anorexiques ou atteintes d’obésité morbide. Fin
de l’année 2012 les Editions Érès ont publié son livre « Art-thérapie et
anorexie » où elle transmet son expérience et ses réflexions en la matière.
Formée elle-même dans l’institut
PROFAC[1] à Arles, Nathalie Bonnes intervient aujourd’hui
comme formatrice en art-thérapie pour l’institut PROFAC Marseille. Elle a
commencé sa carrière en effet dans le
métier d’éducatrice de jeunes enfants, qu’elle a exercé pendant 28 ans, pour se
consacrer ensuite à l’art-thérapie dont elle a obtenu sa certification en mai
2004. Suite à la validation de la certification PROFAC par l’état français, elle
a repassé une VAE pour confirmer la validation de cette première certification et les années de travail en tant
qu’art-thérapeute.Ce qui, évidemment, suggère ma première question à lui
poser :
- Nathalie, quel est le statut de
l’art-thérapie en France actuellement ?
- Pour l’instant l’art-thérapeute n’a pas
de statut : la certification de certaines écoles a été reconnue par l’état,
et c’est le cas de PROFAC - l’organisme dans lequel j’ai été formée. C’est une
certification de niveau 2. Mais actuellement les art-thérapeutes sont recrutés
sur des postes divers et en ce qui me concerne, mon intitulé de poste est
« éducatrice de jeune enfant » et je fais fonction d’art-thérapeute
sur ce poste pendant 39 h par semaine. Certains art-thérapeutes de diverses
écoles et l’association française des art-thérapeutes œuvrent à la
reconnaissance d’un statut des art-thérapeutes. Mais ce travail demande
beaucoup de temps.
- Dans ton livre tu écris que l’art-thérapie
« joue sur le trait d’union entre art et thérapie », comment
comprendre cela ?
- C’est une expression de Jean-Pierre Royol[2], qui veut dire en quelque
sorte que le travail art-thérapeutique se fait dans un entre-deux, dans un
espace resté vide structurellement et qui permet au sujet, à partir de ce vide de
créer, de bricoler pour se créer son sinthome
et tenir debout. C’est dans cet espace là que travaille l’art-thérapeute.
- Et d’autre part tu l’as définie comme «une méthode de soin qui se positionne dans un espace intermédiaire entre
art et psychanalyse», tu insistes qu’elle s’appuie sur la psychanalyse et peut
ouvrir une demande de psychanalyse…
- En
ce qui me concerne de par la formation de PROFAC et le travail analytique que
j’ai entrepris avant, pendant et après la formation, je considère qu’il m’est
difficile de concevoir l’art-thérapie et l’analyse de façon dissociée. Certes
l’art-thérapeute n’est pas un psychanalyste, s’il n’a pas fait le travail
nécessaire pour cela. Mais selon sa formation, son regard, son point de vue est
orienté par la psychanalyse (éclairé par la psychanalyse, nous dit Jean-Pierre Royol).
Plus que son regard d’ailleurs, il s’agit de son écoute. Il utilise l’écoute,
le silence, le vide, pour ouvrir des espaces dans lesquels le sujet va pouvoir
se trouver ou se retrouver. L’espace art-thérapeutique n’est pas un atelier
d’art-plastique. Il s’en différencie de par la place de l’objet qui n’est qu’un
prétexte au travail, qui n’est pas esthétique et se veut le plus possible
éphémère. Il s’en différencie de même de par le travail sur le transfert
élaboré par l’art-thérapeute. La prise en compte du transfert est la base du
travail art-thérapeutique à mon sens. Tous les art-thérapeutes, toutes les
écoles d’art-thérapie ne tendent pas vers ce travail mais en ce qui me concerne
c’est ainsi que je définis l’art-thérapie.
- J’aimerais revenir sur le statut
de l’objet en art-thérapie: différent de celui de l’objet d’art, il se
construit dans le transfert, il doit être le plus éphémère possible, ni
conservé, ni exposé… ce dernier … pourquoi ?
- L’objet
en art-thérapie est un prétexte à la parole, à la relation transférentielle. Il
vient inscrire cette relation dans un moment donné qui a peu de rapport avec la
réalité. C’est un objet qui fait partie de l’intime du patient parce que
justement il est créé dans un espace transférentiel, dans une relation
particulière. Des choses s’y inscrivent et se disent de l’intime du patient.
Des choses de l’ordre du fantasme, de l’ordre d’une « autre scène ».
Pour ces raisons il est impossible d’exposer aux yeux de tous quelque chose qui
fait partie de l’insu du patient, qui est sorti de son
inconscient ou qui a permis l’ouverture de cet inconscient lors d’un instant
rapide, fugace. Il y a des choses que l’on doit garder en mémoire sans être
obligé de les avoir
constamment sous les yeux, dans le sens où elles ne témoignent que d’une
« vérité éphémère », envelopper d’un voile protecteur. Cet objet n’a
rien à voir avec le « beau, l’esthétique, le pur ». Il a à voir
plutôt avec le « pur réel », l’impensable, l’impossible à dire. Il ne
doit pas devenir persécuteur en nous regardant constamment comme nous le
regardons et comme d’autres nous voient le regarder et le regardent
aussi. Cela deviendrait malsain il me semble et à l’inverse de ce que nous
cherchons.
- Dans l’entre-deux de la relation
art-thérapeute-patient, là où, manque la parole, vient prendre place un
« dire plastique »… J’ai beaucoup aimé cette phrase…
- Elle
est la continuité de ce que j’ai évoqué précédemment. Cet objet vient inscrire
l’intime du patient qui ne peut dire certaines choses. Les mots viendront
sculpter cet objet au fur et à mesure de la séance pour donner vie à l’objet le
plus éphémère qui soit : la parole. Et pourtant cette parole reste alors
que les écrits s’envolent car contrairement à ce qui se dit d’habitude, une
parole, une fois prononcée ne peut plus être effacée : c’est dit, c’est
dit et c’est ainsi. Alors qu’un écrit pourra toujours être transformé par
l’écrivain. La parole a ceci : elle se dit en présence d’un autre. L’écrit
est souvent plus intime et n’a pas de témoin dans un premier temps. Toutefois,
une fois que cet objet vient dire quelque chose de l’intime devant un témoin
(l’art-thérapeute), « c’est dit ! ».
A suivre...
[1]Voir, à propos
de PROFAC : http://www.artherapie.com/
[2]Jean-Pierre
Royol est docteur en psychologie clinique, directeur de PROFAC, président de la
Ligue professionnelle d’art-thérapie, auteur de « Art-thérapie Quand
l'inaccessible est toile », éditions Dorval