Jacquemine Latham-Koenig et dr Patrick Delaroche:
« Parents, osez-dire non ! »
Jacquemine Latham-Koenig
dr Patrick DelarocheEn résumé: Dans la famille actuelle, les parents veulent être aimés et n’osent pas interdire, les pères se réfugient dans des valeurs maternelles, les pathologies d’adolescence sont surtout celles de l’addiction. La société démolit artificiellement les rôles des sexes, les hommes se féminisent, les femmes veulent un homme qui ne soit pas trop macho, mais qui lui fasse bien l’amour, quand même
Carte de visite :
Le nom de Patrick Delaroche - psychiatre et psychanalyste français n’est pas tout à fait inconnu à nos lecteurs et à l’auditoire bulgare en général : nous avons déjà publié des interviews avec lui dans la presse bulgare ; deux de ses livres, adressés aux parents et aux spécialistes, sont traduits en langue bulgare. Et pour le milieu professionnel, d-r Delaroche reste l’une des figures grâce auxquelles s’est réalisée l’introduction et la diffusion de la psychanalyse en Bulgarie aux années 90. Dr Delaroche et Jacquemine Latham-Koenig (psychanalyste, psychologue de formation) ont dirigé ensemble plus de 30 ans l’Hôpital du jour pour adolescents à Ville d’Avrey en France.
- Est-ce qu’il y a des problèmes typiques de l’adolescence, provenant de notre modernité ?
Jacquemine Koenig :
- Les structures psychiques restent structures et je pense qu’ il n’y a pas de nouvelles pathologies au sens fondemental de structure. Simplement – ça prend des formes différentes, les symptômes de chaque époque prennent les formes de l’époque. Je pense que les symptômes utilisent ce qu’il y a de contemporain. Les adolescents sont très près, très sensitifs à ce que la société propose. L’hyperactivité par exemple est quelque chose dont on parle partout, et, bien, les ados l’utilisent. Ou les formes dites « d’états-limites », qui sont des formes atypiques comme ça et où il est difficile ensuite de repérer la structure dont il est question. Effectivement, les adolescents vont utiliser ce qui est dans l’air du discours dominant, dans l’air de l’idéologie dominante.
Patrick Delaroche :
- Je suis d’accord. Actuellement il y a une facilitation pour tout ce qui est l’objet de consommation - internet, le MP3, ces trucs-là qui font que maintenant on n’est plus un ado sans objet et sans quelque chose qui marche seul, qui fonctionne tout seul. Ça donne une espèce d’autoérotisme généralisé et il y a aussi une recherche de plaisir, que je trouve, moi, facilitée par des parents d’une manière très exagérée : maintenant ils vont tous aux sports divers, ils ont tous des marques sur leur dos, pas seulement les enfants des familles riches, mais ceux des familles moyennes aussi. Ils ont propension au plaisir et à la recherche immédiate du plaisir. Et ce qu’on observe comme pathologies actuellement ce sont les pathologies d’addiction. Pas seulement le haschich, parce que c’est encore rare à ce moment, grâce à la repression, mais par contre on trouve des adolescents qui s’alcoolisent en groupe, d’une manière extrémement ludique, d’une manière très adolescente, bien sûr, mais qui fait craindre qu’ils ne deviennent alcooliques plus tard, parce qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils exagèrent. Et il y a beaucoup d’adolescents qui, par exemple, sortent et rentrent tard, ne sont plus contrôlés par leurs parents, ils deviennent incontrôlables et se justifient à cause du fait groupal adolescent, c.à.d. que comme les autres font comme ça, il n’y a pas de raison qu’ils ne le fassent pas. Et les parents se trouvent désarmés par cet argument, parce qu’ils ne veulent pas que leur ado soit marginalisé par les autres. Et il ne faut pas oublier, non plus, l’addiction aux jeux vidéo, qui devient quelque chose infernale et detruisant.
- Selon l’une de vos thèses, dr Delaroche, l’agresssivité est maladie de la société de consommation, puisque les produits qu’elles expose provoquent de la jalousie.Patrick Delaroche:
- L’agressivité vient, à mon sens, en grande partie de ce qu’on appelle la frustration. La frustration, c’est quelque chose qui, au contraire, deverait rassurer nos ados, puisque c’est en faite de la frustration, du manque qu’on va pouvoir se construire. Mais là, au contraire, la frustration est dénoncée comme quelque chose qu’il ne faut pas avoir. « Ah, il ne faut pas le frustrer ! » - dit-on d’un enfant. C’est un non-sens, en faite la frustration est nécessaire. Et l’étalage des objets, le fait qu’on les expose et qu’on incite à consommer, entraîne, et fatalement, cette fameuse frustration, c.à.d. – quelque chose qu’on deverait avoir, paraît-il.
- Les parents osent de moins en moins sanctionner leurs enfants, peut-être – dans l’intention de rester de « bons parents ».
Patrick Delaroche :
- On retrouve le narcissisme chez les parents, ça veut dire que les parents veulent être aimés de leurs enfants. Ça s’est généralisé pour quelles raisons ? Sans doute parce que eux-mêmes ont souffert d’une certaine carence et ils ne supportent pas que l’enfant puisse penser qu’il n’est pas aimé. Alors, j’explique aux parents, que s’ils veulent être aimés, c’est justement – en interdsant les choses, que l’enfant va les aimer. Pourquoi ? Parce que l’interdiction va produire l’agressivité normale de l’enfant et va lui permettre lui aussi de se détacher, de se séparer des parents. Parce que actuellement les parents veulent être aimés et ils refusent même la séparation, ils font tout pour acheter leur enfant et en faite quand l’enfant veut se séparer, ils ne supportent pas et ils se dépriment. Et c’est à ce moment-là qu’ils ont la surprise de s’apercevoir que moins ils sont interdicteurs, plus les enfants les méprisent et ne les aiment pas.
- Dans l’un de vos livre, dr Delaroche, vous écrivez que « être parent – ça nécessite des qualités psychologiques que pas tout le monde possède ». Seriez-vous d’accord avec l’écrivain Bernard Werber que « parent c’est un métier dans lequel il est impossible de réussir, il faut se contenter de faire le moins mal possible » ?
Patrick Delaroche :
- C’est presque impossible et d’ailleurs, en Angleterre on a fait des écoles de parents pour prévenir la délinquance - on envoie les parents des enfants délinquants à l’école. Et chose curieuse – ça marche assez bien. Pourquoi ? Parce que actuellement les parents n’ose pas intervenir et le fait de les aider, de leur expliquer - qu’ils ne soient pas douteux et qu’ils acceptent que leur enfant les déteste, que leur enfant se sépare d’eux, et bien – quand on leur explique ça, il y en a qui comprennent.
- Mais l’idéologie psychologique dominante est tout à fait au contraire.Patrick Delaroche :
- Oui, elle favorise les mères. La psychanalyste française Françoise Dolto défendait les pères, mais elle n’était pas trop entendue.
Jacquemine Koenig :
- Et curieusement, les pères deviennent de plus en plus maternants, ils ont une position maternelle, pas paternelle. On voit beuacoup ça chez les jeunes parents.
Patrick Delaroche :
- Les pères revendiquent à la fois d’avoir tous les avantages de la mère et du coup ils veulent être aimés comme la mère, c.à.d.qu’ils ne cherchent même plus à se faire obéir. Donc, j’explique aux pères – vous n’êtes pas des mères bis.
- Mais on constate une certaine feminisation des hommes par rapport à leur propre corps aussi.
Patrick Delaroche :
- Bien sûr. L’homme étant dévalorisé comme homme, il va se réfugier dans des valeurs maternelles et féminines et il y trouve certains avantage. Très souvent ce sont les hommes qui sont homosexuels ou bisexuels. Mais il y a aussi les nouvelles sexualités, toutes ces nouvelles apparences, c.à.d. – on veut apparaître à ce que veulent les femmes. Que veut la femme ? Je vous dirai ce que veut la femme actuellement. Elle veut un homme qui ne soit pas viril extérieurement, mais qui lui fasse bien l’amour. Qui ne soit pas trop « macho », mais qui lui fasse bien l’amour, quand même. Donc, c’est un peu paradoxal.
- Et alors – où est-ce que peut s’abriter la femme dans ce monde de valeurs destabilisées?
Patrick Delaroche:
- Mais la femme est un peu masculinisée. Vous avez deux sortes de féminisme. Vous avez le féminisme qui dit: « les sexes sont égaux.» Ça aboutit à des contrats pour certains couples où chacun se partage les tâches ménagères au minimum près – il y a un qui fait la vaisselle un jour, l’autre qui fait la vaisselle le lendemain. Enfin, c’est un couple, je dirais, pas homosexuel (parce qu’il ne fonctionne pas forcément comme ça ), mais c’est un couple unisexuel, on peut dire. Ce n’est pas même couple, ce sont vraiment des associés. Et puis, vous avez le « vrai » féminisme qui dit que la femme doit être défendue comme telle et dans le respect de son sexe et l’homme lui, aussi. Le psychanalyste Michel Schneider parle beaucoup de la féminisation des pères et qu’un peu de machisme fait du bien. Parce que il y a des femmes qui aiment bien avoir des hommes qui ne sont pas trop machos, mais qui soient un peu hommes, c.à.d. – qui soient différents de la femme. Et on assiste actuellement à une démolition des rôles classiques, qui est une démolition artificielle, par la société. Vous avez maintenant des journaux masculins qui viennent d’éclore à Paris, tout à fait à l’image de la presse féminine et qui ciblent un homme qui est plutôt féminin et maternant. Et ça se prolonge dans des pratique qui sont encore interdites actuellement en France (comme les mères-porteuses), mais comme c’est permis dans les pays périfériques, ça va arriver. Je ne sais pas où vous êtes, en Bulgarie, mais ça arrivera. Et on essaie d’annuler quoi ? D’annuler la différence des sexes, c.à.d. pour nous, dans notre jargon – la castration. On oublie que la castration est valable pour les deux sexes.
Jacquemine Koenig :
- Cette espèce d’unification des sexes, ça tend à essayer d’annuler, à essayer de faire fi à cette question. Parce que au fond, la castration, c’est quoi ? – c’est que la rencontre avec l’autre est toujours ratée, toujours manquée. Or, tout ce qui idéologiquement circule aujourd’hui, c’est qu’elle pourrait réussir et que le malentendu n’existe plus.
- Vous insistez sur la nécessité qu’un enfant soit élevé par deux personnes, par deux parents, pas obligatoirement les siens, mais qui impliquent la fonction maternelle et la fonction paternelle. Certes, aujourd’hui la famille est dévalorisé comme institution, beucoup de mères préfèrent élever seules leur enfant, on constate l’instauration du phénomène « famille homoparentale ».....
Patrick Delaroche :
- Premièrement, ce n’est pas facile pour une femme d’élever seule un enfant et ce n’est pas par hasard qu’elles viennent consulter souvent, parce qu’elles ont besoin de ce regard de l’extérieur, elles ont besoin d’un appui, même s’il est épisodique.
Et deuxièmemt, nous ne sommes pas des moralistes, nous sommes des psychanalystes. Quand les patients viennent me voir (y compris – des couples homoparentaux), j’essaie de les aider de résoudre leurs problèmes, mais je ne leur dirais pas qu’il faut ou qu’il ne faut pas faire ceci ou cela. C’est vrai qu’on observe à ce moment de plus en plus de couples homoparentaux et ce qui est curieux, c’est que l’enfant lui-même essaie de fabriquer du père et de la mère, c.à.d. – des opposés. J’ai vu comme ça un enfant de 6-7 ans qui était fabriqué par une mère porteuse et qui avait deux papas. Donc, je joue son rôle dans un jeu de rôles que je fais souvent avec des enfants et je lui dis : »Ça va très bien pour moi, sauf que j’ai deux papas. » Et l’enfant, prend une feuille de papier, il fait semblant de prendre une ordonance et à ce moment, dans le rôle du docteur, me dit : « C’est pas grave, je vais te préscrire une maman, elle n’est pas parfaite, mais quand mème... »
Cet enfant avait des difficultés à l’école, parce que les petits camarades se moquaient de lui. Mais le problème était plutôt le divorse qui allait s’installer entre ces deux messieurs, un divorse qui n’était pas appelé divorse, parce qu’il n’y avait pas de mariage, mais n’empêche pas que du coup l’enfant est attaché aux deux et puis, s’ils ne s’entendaient plus, ils n’aurait plus le droit de visite à celui auquel il était plus attaché, celui qui était plus maman. Plus maman, plus papa – peu importe. Donc, vous voyez les problèmes qui se posent à nous, les gens font ce qu’ils veulent, ils le font plutôt bien, plutôt mal, comme chacun, ils se débrouillent et nous, on n’est pas là pour juger.
Jacquemine Koenig :
- Et on n’a pas de prescription là-dessus. On rencontre des personnes imminément singulières.
- Mais quand même – prescrivez-nous quelques renseignements pour ne pas échouer aux essais d’être de bons parents.
Patrick Delaroche :
- Je ne peux pas vous donner de telles recettes, par contre Freud dit quand même des recettes pour faire son enfant le plus névrosé possible. Il explique que le meilleur moyen pour le rendre le plus névrosé possible, c’est d’être trop gentil avec lui. Gâtez vos enfants et vous verrez que c’est le meilleur moyen de transmette la névrose de parents aux enfants. L’excès de tendresse parentale est malfaisant, explique Freud, car il gâte l’enfant et le fait incapable plus tard dans sa vie de se priver d’amour pour une certaine période ou de se contenter de moins de quantité d’amour.
Jacquemine Koenig :
- C’est au fond les empêcher à désirer. Parce qu’on répond à leur demande immédiatement, comme si elle devait être satisfaite. Donc, ça ne laisse pas place au désir.
- Je vais reformuler votre conseil par le titre de l’un des livres de dr Delaroche : « Parents, osez-dire non ! » c.à.d. – n’ayez pas peur d’interdire. Et de sanctionner. En cas de besoin, bien sûr.
Patrick Delaroche :
- Il ne faut pas punir l’enfant de quelle que façon ce soit, sans qu’il sache pourquoi, sinon c’est stupide. Il faut prévenir l’enfant, formuler tout d’abord l’inerdit. Si on n’a pas dit « no », sanctionner à ce moment est ridicule. Et il faut attendre que l’interdit soit transgréssé, pour sanctionner. Mais c’est dès la première fois qu’il faut réagir, si on n’a pas réagi dès la première fois, on est fichu, c’est comme ce qui se passe dans une classe avec un professeur – ce qui compte, c’est la première heure, si la première heure il ne maintient pas son autorité, il va se faire ensuite dévoré.
- Pourquoi Freud affirmait que « psychanalyser est difficile à l’homme » ?
Patrick Delarche :- Parce que les moments où le psychanalyste peut intervenir sont rares, finalement....
Jacquemine Koenig :- D’une part, et d’autre part – on ne peut le savoir que l’après-coup ce que ça produit.
- Mais quand même – on va chez les psys, dans l’attente d’aboutir au bonheur.....Mais qu’est-ce que c’est, le bonheur ?
Patrick Delaroche :
- Je ne peux pas définir ce que c’est le bonheur, mais ce que le bonheur n’est pas. Ce que le bonheur n’est pas – c’est la jouissance. Ce n’est pas le plaisir pour le plaisir. Le bonheur – c’est de pouvoir désirer, justement....
- Le bonheur – c’est continuer à désirer ce qu’on possède, comme dit Saint Augustin.
Patrick Delaroche :
- Le mot de Saint Augustin est très joli, parce que effectivement désirer ce qu’on a, ça veut dire – considérer ce qu’on a comme ne l’ayant pas. C’est ça le secret du bonheur, c’est de pouvoir poursuivre, de pouvoir continuer à désirer. Et puis, je crois que c’est Confucius qui dit : « On cherche le chemin du bonheur, sans savoir qu’on est dessus. »
PS Texte publié dans la presse bulgare